Menée de main de maître jusqu’en février 2011 par Joseph Condé, dit «Jo Condé», la fédération départementale des chasseurs des Bouches-du-Rhône aligne un budget respectable de 2,5 millions d’euros. Marsactu et Mediapart se sont penchés sur la gestion de cette fédération, qui bénéficie de subventions publiques inhabituellement élevées.Associations type loi de 1901, les fédérations départementales des chasseurs sont cependant investies de missions de service public. A ce titre, leurs budgets «sont, avant d’être exécutés, soumis à l’approbation du représentant de l’Etat dans le département». Mais, dans ce cas, le contrôle préfectoral semble avoir été particulièrement lâche.Des chasseurs dissidents s’interrogent sur d’éventuels détournements de fonds de la part de l’ancien président, déjà condamné pour vol aggravé, recel et corruption passive. Également poursuivi pour harcèlement moral par trois anciens salariés, Joseph Condé a été relaxé de ce dernier chef en appel en novembre 2011.
Le budget de la fédération départementale des chasseurs est alimenté par les cotisations des quelque 26.000 chasseurs bucco-rhodaniens ainsi que par de généreuses subventions des collectivités locales. En 2009, la fédération a ainsi reçu 180.000 euros du conseil général des Bouches-du-Rhône (dont près de 100.000 euros pour fonctionnement), et même 300.000 euros si on ajoute les quelque 100.000 euros versés par le déppartement à différentes sociétés de chasses communales. La même année, la région avait versé elle près de 75.000 euros
Une somme qui laisse bouche bée les responsables des autres fédérations contactés. Avec 12.500 chasseurs, l’Ardèche obtient ainsi péniblement une subvention de fonctionnement de 4500 euros, tandis qu’en Indre-et-Loire (18.000 chasseurs), le directeur, après mûre réflexion, évoque une subvention de 2500 euros en 2011 «pour la fête de la chasse». Même la première fédération départementale française, en Gironde (47.000 adhérents), affirme ne recevoir aucune subvention régulière.
«Les rares subventions sont toutes liées à des opérations concrètes de préservation de la nature, menée en partenariat avec des associations environnementales, jamais pour du fonctionnement et encore moins pour éditer un magazine», souligne Jacques Lecucq, un employé. «Jamais un conseil général ne donne de subvention de fonctionnement, c’est toujours sur des projets très précis !», confirme Bernard Baudin, président de la fédération nationale des chasseurs et conseiller général UMP des Alpes-Maritimes.
Contacté, le conseil général des Bouches-du-Rhône indique qu’un audit a été lancé en octobre 2011 sur d’éventuels dysfonctionnements à la fédération des chasseurs. «En 2010, la subvention s’est élevée à 160.000 euros pour des équipements (carnets de suivi de bécasse, achat de gibier de repeuplement, etc.) et le fonctionnement de la fédération afin de financer leur personnel administratif, des publications ou en faire ce que bon leur semble, explique le conseil général. Nous ne sommes pas maître de ce que font les responsables de la fédération.» Au conseil régional, après 2009, année de la première condamnation de Jo Condé, les subventions n’ont pas été reconduites.
Un canard de chasseurs
Silence radio du côté de la fédération des Bouches-du-Rhône, sollicitée à plusieurs reprises. Mais les documents auxquels nous avons eu accès sont troublants. En 2007, un rapport du délégué à la chasse du conseil général, Roger Tassy, propose ainsi le vote d’une subvention de fonctionnement de 150.000 euros à la fédération des chasseurs, notamment pour l’édition d’un «journal d’information cynégétique» distribués aux 26.000 chasseurs. Roland Chassain, maire UMP des Saintes-Marie-de-la-Mer et conseiller général, affirme avoir «mis en garde» le département (de majorité PS) sur ces financements.
Est-ce vraiment le rôle d’une collectivité locale de financer un canard de chasseurs ? Le doute est permis, d’autant que cette revue est en fait à cette époque «achetée» par la fédération de Jo Condé à une SARL Chasser en Provence créée en mars 2006 par… Condé Jo. En septembre 2008, alerté par des chasseurs, le préfet des Bouches-du-Rhône exige la radiation de cette SARL. Que Jo Condé transforme aussitôt en une association du même nom. La convention signée avec le département interdit pourtant expressément «de reverser tout ou partie de la subvention à d’autres associations, sociétés, collectivités privées ou œuvres».
Entre 2007 et 2009 (au moins), la quasi intégralité de la subvention versée par le conseil général a ainsi abondé une structure créée par Jo Condé et dont les comptes sont inaccessibles. «Ce n’est pas possible», commence par démentir le conseiller général Roger Tassy. Avant de suggérer, en contradiction même avec les documents du conseil général : «C’est peut-être leur argent qu’ils donnent à cette société». «Normalement, un responsable qui fait des affaires directes avec la fédération est réputé démissionnaire», explique Charles Pecoraro, président du comité de défense des chasseurs des Bouches-du-Rhône et farouche opposant de Joseph Condé.
Un Condé rattrapé par la justice
Une enquête préliminaire menée par les gendarmes a finalement été classée sans suite par le parquet d’Aix-en-Provence en septembre 2010, faute «d’infraction insuffisamment caractérisée». L’ancien trésorier de la fédération Daniel Portalis, s’interroge pourtant toujours sur d’éventuels détournements de fonds. «Les articles et les photos sont réalisés par le personnel de la fédération ou des bénévoles, il y a une quarantaine de pages de publicité payante, et au bout cela revient à 150.000 euros aux chasseurs ? Cherchez l’erreur», s’exclame-t-il. Malgré une requête de la présidente du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence, les chasseurs dissidents n’ont jamais pu accéder aux comptes détaillés de la fédération.
Autre curiosité comptable, elle aussi sans conséquence judiciaire : en avril 2008, une recette de 33.004 euros apparaît brusquement dans le bilan de la fédération sous le titre «Participation revue/assurance.» Il s’agit en fait des «frais de gestions» prélevés par la fédération sur les contrats d’assurance souscrits par les chasseurs. «Si cette somme n’apparaissait pas sur le premier bilan de 2008, c’est qu’elle était versée directement à la SARL de Jo Condé, en déduit Charles Pecoraro. Nous nous sommes plaints au préfet, et la fédération s’est empressée de modifier le bilan, en incluant ce revenu. Mais comment un préfet, averti de ces combines financières, a-t-il pu accepter de valider ce budget ?» Réponse que nous n’avons pas pu à l’heure actuelle obtenir des services de l’Etat.
No limit
En interne la main, Jo Condé avait la main haute sur les sommes versées aux sociétés de chasse du département. Le président de celles de Martigues expliquait ainsi à La Provence en avril 2011 que leur subvention était passée de 4500 euros à 1500 euros en deux ans. «Jo Condé, l’ancien président, a voulu nous punir, car nous n’étions pas d’accord avec lui», précisait-il.
L’expertise psychiatrique de Jo Condé, 44 ans, réalisée dans le cadre d’un des procès, évoque «une personnalité qui ne se pose pas de limite», bénéficiant d’«un sentiment d’impunité, de toute puissance». En juin 2009, il avait été condamné par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence à deux ans de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction sociale, pour vol aggravé, recel et corruption passive. Les faits sont croquignolesques : il avait, en 2006, avec quelques acolytes dérobé des tables de pique-nique au zoo de la Barben.
Corruption à la Fédé
Il avait également recelé des vêtements de marque, volés par un ami employé dans un entrepôt de stockage. «Avec des véhicules et des personnels de la fédération», a affirmé fin octobre à l’audience pour harcèlement moral, Jean-François Leca, avocat d’un des plaignants pour qui leur patron «n’a pas apprécié qu’ils n’aient ni participé, ni gardé le silence, puisqu’ils ont témoigné auprès des gendarmes».
Une des causes, selon eux, de leur mise à l’écart. «J’ai perdu 400 euros de salaire, mais j’ai ma conscience pour moi, j’ai fait ce que j’avais à faire», glisse Patrice Galvand, un ancien employé choqué par les non-lieu successifs alors que les tribunaux ont reconnu une gestion «à la limite de l’excès de pouvoir». Il cite le cas d’un autre plaignant, Patrick Lozat, en incapacité de travail suite à une dépression et des problèmes de tension et de coeur. «Sa vie est détruite», lâche-t-il.
La corruption a elle aussi eu lieu dans le cadre de la fédération : Jo Condé prélevait 10 euros de l’heure sur des travaux de débroussaillage facturés à la fédération et avait négocié des cadeaux (ordinateur portable et appareil photo) en échange d’un marché de prestations informatiques.
Si sur le volet harcèlement moral la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le 28 novembre la relaxe, la condamnation de 2009 pour vol aggravé, recel et corruption passive a été confirmée en appel en 2010 et par la cour de cassation en janvier 2011. Fin de partie pour Jo Condé ? Du soutien politique au jeu de chaises musicales, l’homme a plus d’un tour dans sa gibecière et compte encore aujourd’hui. Pour le second épisode, rendez-vous ici.
Une enquête réalisée avec Louise Fessard de Mediapart