Vous vous rappelez de Jo Condé ? Président de la fédération des chasseurs (FDC) des Bouches-du-Rhône, il avait dû démissionner suite à sa condamnation pour corruption. Marsactu, dans la foulée d'une enquête en partenariat avec Mediapart, vous avait déjà raconté comment, contournant l'interdiction de la justice de présider cette association investie d'une mission de service public, il était revenu en grâce jusqu'au ministère de l'Ecologie... en tant que secrétaire.
Depuis, l'ancien magasinier de chez Tropico a concrétisé son projet de restaurant à Aurons, La broche gauloise. On y mange - dans le mille - du sanglier. Le prestataire qui avait été condamné à ses côtés pour lui avoir reversé une partie du fruit du marché de débroussaillage de la fédé travaille toujours pour elle. Mais du côté des comptes de la fédération, la huitième de France avec 23 500 chasseurs, ça se corse. Certes, l'adhésion obligatoire assure un confortable matelas - environ 1,5 million d'euros par an - via les différentes recettes relatives aux permis de chasse. Mais ce dimanche, lors de l'assemblée générale à Pélissanne, un budget en déficit de 200 000 euros sera présenté.
Les collectivités ne subventionnent plus
La raison est simple, mécanique : la ligne "subventions" est passée de 250 000 euros versés par le département et la région à - 185 000 euros. Contactée, il est vrai en pleine préparation de l'assemblée générale, la fédération n'a pas pu nous mettre en contact avec un responsable. Élue au conseil d'administration, Marylise Foggia s'interroge sur un éventuel "jeu d'écriture. Est-ce qu'on n'a pas inscrit chaque année des subventions qu'on n'a pas perçues et qu'on retire sur plusieurs années ? Peut-être que ça fait trois ans qu'on est en déficit".
Des soupçons à l'état d'hypothèse, mais suscités par l'opacité comptable de la fédé : "A partir de la garde à vue de Condé en 2008, la fédération n'a plus fourni qu'un bilan succinct aux administrateurs et aux sociétés de chasse." Les subventions sont ainsi regroupées sur une ligne unique, sans que l'on puisse savoir "qui verse combien". Du moins en se basant sur les documents à destination des chasseurs. Mais dans les comptes remis à la préfecture et publiés au journal officiel - une obligation légale - on peut retracer la chute des subventions après la condamnation définitive de Condé en janvier 2011.
Côté conseil régional, de 85 000 euros en 2008/2009 (les comptes se font du 1er juillet au 30 juin) puis 74 700 euros en 2009/2010, la participation est devenue négative l'année suivante (-92 000). Le conseil général confirme aussi avoir arrêté toute subvention en 2011, officilellement "suite à un audit qui montrait qu'il manquait des pièces". Si une subvention de 198 000 euros apparaît toujours dans les comptes en 2010/2011 - permettant à la fédé d'afficher un solde positif à ses adhérents - c'est donc pour la partie 2010 de l'exercice.
Une enquête préliminaire enterrée
L'audit commandé par la collectivité, que nous avons pu nous procurer, n'est pas aussi fracassant que les condamnations passées de la gestion pourraient le laisser présager. Les principaux manquements relevés concernent le rapport du commissaire aux comptes, celui-là même qui est remis à la préfecture, qui ne comprend pas tous les éléments imposés par la loi et n'est pas approuvé dans les temps.
Mais l'enquête ne s'engouffre pas sur certaines pistes qu'elle ouvre. Ainsi, à propos de 40 490 euros de titre de participations détenues dans une société civile immobilière intitulée Sainte-Victoire et placée en liquidation judiciaire en 2009/2010 : "Malgré nos demandes, l'association n'a pas été capable de nous fournir de plus amples informations sur cette structure (pourcentage de détention, autres actionnaires, objet…)." Autre interrogation qui persiste : "Le manque de justification comptable de l'utilisation des subventions perçues ne permet pas de s'assurer que ces fonds n'ont pas été reversés à d'autres organismes". Une circulation de l'argent public interdite mais qu'une enquête préliminaire enterrée sur la revue Chasser en Provence - éditée pendant plusieurs années pour le compte de la FDC 13 par une société privée puis une association ad hoc - laissait supposer.
Encore un petit coup de main des élus ?
Toujours est-il que sans les subventions, particulièrement grasses comparées à ses homologues de France, des collectivités, les dirigeants de la fédé se retrouvent au pied du mur. Dimanche, le détachement d'un terrain de 1500 m2 au siège de la fédération, à Puyricard, sera proposé au vote. Une parcelle non constructible dans l'actuel plan d'occupation des sols aixois mais qui pourrait le devenir dans le plan local d'urbanisme en cours d'élaboration sous la houlette de Maryse Joissains.
"On est en train de vendre des biens pour renflouer, le souci c'est qu'un jour on ne pourra plus assumer l'indemnisation des dégâts du gibier(1) (un des gros postes financiers qui font partie de la mission de service public des fédérations de chasse, ndlr) qui peuvent très vite augmenter d'une année sur l'autre", s'inquiète Marylise Foggia.
Ce n'est cependant pas la première fois que la fédération est en déficit (elle était gravement dans le rouge au début des années 2000). Et une autre porte de sortie se profile, sous la forme d'un déménagement à Pélissanne. Pascal Montécot, le maire UMP de la commune, l'accueillerait les bras ouverts. A l'évocation de la gestion trouble de Jo Condé, il balaye : "Ce qui m'intéresse ce ne sont pas les hommes, mais la fédération".
L'opération pourrait être très juteuse si l'on en croit l'audit du CG13 : "Les locaux acquis dans les années 70 sont comptabilisés à environ 500 k€ en valeur brute dans les comptes de l'association. La direction nous a indiqué avoir reçu plusieurs propositions de rachat allant jusqu'à 7 M€ pour son siège et le terrain."
(1) À titre d'exemple, quand un sanglier détruit des vignes, un dédommagement est versée au viticulteur [Retour au texte]